D’importants projets d’investissement pourraient voir le jour sur le marché de l’électricité, sous l’impulsion de l’Union européenne. Consciente de la nécessité de réformer le système, l’Europe souhaite accélérer sa transition énergétique en apportant une aide massive à l’industrie et aux distributeurs. Des mesures qui pourraient reporter le risque financier sur des consommateurs affaiblis par les crises passées, tout en accentuant la pression à laquelle font déjà face les réseaux de distribution.

600 milliards d’euros. C’est la somme que doit investir l’Europe pour accomplir sa transition énergétique. La Commission européenne a annoncé son souhait de mener à bien une politique d’investissements active pour favoriser l’accélération du déploiement de son réseau électrique, tout en atteignant les objectifs écologiques fixés.
Un dilemme important pour l’Europe. Les conséquences financières de tels investissements pourraient impacter lourdement les consommateurs, tandis que les acteurs de la distribution craignent de ne pouvoir faire face à l’ampleur de leur nouvelle mission, enclavés par les limites imposées pour protéger les particuliers.

La “grande inadéquation” des réseaux de distribution

L’Union Européenne s’était engagée à atteindre une cible de 42,5% de parts d’énergies renouvelables dans son réseau électrique d’ici à 2030. Un objectif qui paraît ambitieux quand on considère les 22% accordés à ce type d’énergies dans le système énergétique européen aujourd’hui.

Le Commission européenne a ainsi chiffré à 584 milliards d’euros les investissements nécessaires pour soutenir ses objectifs de décarbonation. Une somme activement réclamée par les plus grands acteurs de l’énergie, qui sera surtout injectée dans les réseaux de distribution, pour raccorder les capacités renouvelables.

Zsusanna Pató, conseillère principale du groupe de réflexion sur les énergies propres RAP a ainsi expliqué à Euractiv que la transition énergétique “a provoqué une grande inadéquation” entre l’électricité produite, et la capacité des réseaux de distribution et de transports, parce qu’elle suppose “de déplacer le lieu de production de l’électricité tout en stimulant la demande grâce à l’électrification.” Un défi susceptible de toucher à la fois l’industrie et les consommateurs.

L’implantation des systèmes renouvelables se fait souvent dans des sites peu propices au transport des énergies produites. Les dispositifs photovoltaïques et éoliens se trouvent ainsi généralement dans des lieux reculés, sans accès aux anciennes centrales à charbon ou à gaz, mieux raccordées au réseau.

Zsusanna Pató justifie ainsi à Euractiv la politique agressive de l’UE par la conjoncture globale de la transition énergétique : “La pression est forte pour accélérer la construction du réseau afin d’éviter un écart croissant entre les énergies renouvelables et les nouvelles charges.

Bruxelles entend mettre en place un nouveau système d’investissements anticipés. Ces investissements permettront de développer une vision à plus long terme, et le déploiement de lignes et de câbles électriques qui prendra en compte les besoins à venir des consommateurs. Or, il s’agit là d’un défi majeur pour les réseaux de distribution.

Des réseaux mis à l’épreuve

Les gestionnaires de réseaux de transport d’électricité, notamment chargés des lignes à haute tension et de la sûreté de l’approvisionnement, parviennent déjà à préparer l’avenir et l’impact de la nouvelle politique d’investissement, comme en témoignent les appels d’offres massifs.

Les gestionnaires de réseaux de distribution, de leur côté, affichent moins de confiance quant à la possibilité de réaliser les objectifs fixés par la CE. Principaux acteurs du projet européen, ils auront la tâche de raccorder un peu plus de 70% des énergies renouvelables. Une quantité massive, qui met à mal leur système, plus localisé.

Kristian Ruby, le secrétaire général d’Eurelectric, association des énergéticiens européens, a en effet expliqué aux Échos : “Les gestionnaires de réseau de distribution sont 2500 eu Europe et doivent porter leurs investissements à un total de 60 milliards d’euros par an, contre 40 actuellement. Or, jusqu’ici, la logique qui a prévalu a été de limiter les investissements afin d’éviter une envolée des redevances demandées aux consommateurs. Ces acteurs ne se projettent donc pas dans des plans d’investissement à plus de trois ans. Il faut sortir de cette logique et investir en avance de phase.

L’association a fait part de ses inquiétudes aux différents Ministres de l’écologie début avril. Les conditions de ce plan d’investissement monumental sont encore discutées à Bruxelles. Le risque d’une refacturation aux consommateurs est notamment signalé dans le courrier adressé par l’association aux gouvernements.

Des risques importants pour les consommateurs

Le projet de la CE a remué un sujet délicat : alors que les consommateurs sont toujours impactés par les crises énergétiques passées, la mise en place par les réseaux de distribution de telles mesures pourrait se répercuter sur les factures des particuliers. Les investissements des réseaux de distributions sont en effet compensés chaque fin de mois par les prix payés par les consommateurs.

En Allemagne, la question a déjà été prise au sérieux par l’exécutif : alors que les coûts de congestion atteignent des sommets dans le pays, le ministre de l’Économie, Robert Habeck, a affirmé que les firmes et les particuliers devraient bénéficier d’une protection contre une flambée des coûts du réseau électrique. Une ébauche d’un dispositif de limitation des redevances.

Des investissements inutiles ?

La Commission européenne court un risque majeur en menant un plan d’investissement d’une telle ampleur. En cas d’échec des projets d’énergies renouvelables ou d’erreur dans les estimations des besoins en électricité, elle pourrait se retrouver avec des pylônes inexploités et inutiles.

Les avocats du projet affirment le caractère essentiel de ces initiatives pour que la cible de décarbonation fixée par l’UE soit atteinte. Nicolò Rossetto, chercheur à la Florence School of Regulation soutient ainsi auprès d’Euractiv “Nous devons investir davantage. C’est inévitable. Et les régulateurs devraient agir en conséquence.

Rafael Muruais Garcia, chef par intérim du département des besoins du système énergétique à l’ACER souligne la nécessité de mettre en place des projets permettant un équilibre entre les réseaux et les consommateurs : “La transition énergétique nécessite de réaliser des investissements anticipés tout en analysant soigneusement les risques associés pour garantir une répartition équitable entre toutes les parties concernées, y compris les consommateurs.

La réforme du réseau électrique votée par les eurodéputés le 11 avril va dans le sens de la protection des particuliers, mais a rappelé l’importance de l’investissement pour réaliser la transition énergétique.

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