Crise de l’énergie : comprendre l’évolution des tarifs

Guerre en Ukraine, instabilité des marchés de gros, mise à l’arrêt des réacteurs nucléaires, ou encore taxes imposées par l’État chamboulent le marché de l’énergie. Depuis 2020, la France traverse une crise de l’énergie historique, qui continue d’affecter les consommateurs. Le prix du gaz a ainsi augmenté de 12,6% fin 2023, tandis que le tarif réglementé de l’électricité a lui aussi connu une hausse de 8,6% en 2024. Nous vous aidons à comprendre les causes et les conséquences de ces crises sans précédent.

L’explosion des prix sur le marché de l’énergie

Alors que la CRE a annoncé une hausse de 11,7% des prix du gaz en juillet 2O24, et que les prix de l’électricité continuent de se caractériser par leur volatilité, la crise de l’énergie, à son paroxysme en 2022, continue d’affecter les foyers français. Zoom sur la dynamique de ces derniers mois.

Le graphique suivant illustre les temps forts de la crise de l’électricité sur le marché spot, ou marché de gros de court terme, de l’électricité. Il suggère aussi l’impact de la crise de l’énergie :

La crise du gaz

Alors que la France occupe une place majeure d’exportatrice d’électricité en Europe, elle est contrainte d’importer 99% du gaz qu’elle utilise. Cette situation de dépendance au gaz étranger, surtout norvégien et russe, explique les crises de l’énergie majeures auxquelles le pays a été exposé ces dernières années.

Le graphique ci-dessous montre l’évolution du prix du gaz en France sur cinq ans, mettant en évidence l’impact de la suppression du TRGV ainsi que les effets des différentes crises, telles que la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine. Il illustre également la rupture avec le TRGV :

2020 : ralentissement en mer du nord

En amont de la crise de l’énergie provoquée par la situation ukrainienne, la France a été affectée par un ralentissement des exportations norvégiennes.

Le saviez-vous ?

La Norvège est l’un des plus grands producteurs et exportateurs de gaz en Europe. Au début des années 2000, les réserves de gaz ont commencé à s’épuiser en raison d’une exploitation intensive. De nouvelles plateformes pétrolières offshores ont ainsi été créées.

Pour répondre aux besoins économiques du pays, le gouvernement a autorisé de nouveaux forages en mer de Barents en 2018. En 2017, environ 6 % de la population active norvégienne était employée directement ou indirectement par l’industrie.

À la mi-2020, des travaux de maintenance et des arrêts d’exploitation sur plusieurs gisements ont ralenti la production, réduisant ainsi les exportations en 2021. Ce n’est qu’à partir d’octobre dernier que les exportations norvégiennes ont repris, avec une hausse prévue dans les mois à venir.

La situation norvégienne a donc provoqué une hausse des prix pour les foyers français.

2020-2021 : Covid et reprise économique

Si les prix du gaz ont eu tendance à stagner pendant l’année 2020, en raison des divers confinements, la reprise économique a entamé une crise majeure de l’énergie et des prix du gaz : la demande énergétique exceptionnelle a ainsi provoqué une explosion des prix. C’est notamment la relance de la production de masse et des grandes entreprises qui a provoqué cette flambée.

Nicolas Goldberg, spécialiste du secteur de l’énergie pour le cabinet Colombus Consulting, explique qu’un “pic de consommation, un choc de la demande à partir du mois de septembre, porté par les industries, très gourmandes en ressources” a été observé.

Or, la production n’a pas suivi le rythme, et les réserves de gaz ont diminué plus rapidement que prévu.

2022 : les conséquences de la guerre en Ukraine

En 2022, la crise du gaz s’est intensifiée en raison de la guerre en Ukraine, qui a eu des répercussions majeures sur l’approvisionnement énergétique mondial.

Le saviez-vous ?

L’Europe dépend fortement du gaz naturel pour son chauffage, sa production d’électricité et son industrie. Avant la guerre, une grande partie de ce gaz était importée de Russie, qui fournissait environ 40% du gaz consommé en Europe.

Alors que la communauté internationale a imposé à la Russie de nombreuses sanctions économiques, particulièrement sévères, la Russie a utilisé le gaz comme levier politique, interrompant les livraisons de gaz via des pipelines clé comme Nord Stream 1 et 2. En réponse, les pays européens ont cherché à diversifier leurs sources d’approvisionnement et à réduire leur dépendance au gaz russe. Cependant, ces efforts n’ont pas pu compenser immédiatement la perte de gaz russe, entraînant une pénurie sur le marché.

La réduction de l’offre de gaz a conduit à une flambée des prix sur les marchés européens et mondiaux. Les prix du gaz naturel ont atteint des niveaux record, aggravant l’inflation et augmentant les coûts pour les consommateurs et les industries.

Les gouvernements européens ont intensifié leurs efforts pour sécuriser des approvisionnements alternatifs, y compris des importations de gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance des États-Unis, du Qatar et d’autres producteurs. Des mesures ont également été prises pour accélérer la transition vers des sources d’énergie renouvelable et améliorer l’efficacité énergétique.

La crise de l’électricité

Gaz et électricité

Même si la France occupe une place d’exportatrice majeure de l’électricité en Europe, le couplage du cours du gaz et de l’électricité a également provoqué une flambée des prix de cette énergie au cours de ces dernières années.

Prix de l'électricité

Sur les marchés de gros, le coût variable de l’électricité est déterminé par la centrale la plus coûteuse nécessaire pour satisfaire la demande. En Europe, et particulièrement en France, ce sont les centrales à gaz qui comblent la demande variable : ainsi, le prix de l’électricité sur les marchés de gros est indexé sur celui du gaz. Cela explique l’impact de la crise en Ukraine sur les prix de l’électricité en 2022.

Le gouvernement d’Emmanuel Macron a proposé une réforme de découplage de l’énergie en 2023, refusée par neuf pays de l’Union européenne.

2021 : la capacité de production française mise à mal

L’année 2021 a été marquée par une instabilité sur le marché à terme en France. Selon le rapport annuel de la CRE, il y a eu une “crise électrique spécifiquement française.” La disponibilité du parc nucléaire, déjà restreinte, a été encore réduite suite à la découverte d’une anomalie sur les systèmes de sécurité à la centrale de Civaux.

Des problèmes de corrosion ont été identifiés dans plusieurs réacteurs nucléaires, entraînant leur mise hors service et une diminution significative de la capacité de production nucléaire en France, provoquant une hausse des tarifs, et confirmant la dynamique de crise de l’énergie.

Les prix à terme annuels ont en moyenne atteint 94,7 €/MWh, marquant une augmentation de 111 % par rapport à 2020.

Les prévisions pour l’hiver 2021-2022 ont reflété ces inquiétudes, anticipant des périodes de prix très élevés voire des risques de défaut. Par exemple, le prix pour la livraison de base en France au premier trimestre 2022 a atteint 772 €/MWh le 21 décembre 2021, bien au-dessus des prix habituellement compétitifs pour cette période en France.

Cette pression sur les prix à terme s’est également ressentie sur les prix à court terme, particulièrement pour les sources de production ayant des réserves d’énergie limitées comme l’hydroélectricité.

L’impact de cette crise est illustré dans le graphique suivant, avec les données par trimestre sur le marché à terme :

2022 : une crise sans précédent

L’année 2022 a été marquée par une série de crises majeures dans le marché de l’énergie, exacerbant les troubles de 2021.

Le marché de gros a enregistré une augmentation moyenne de 153 % par rapport à l’année précédente, qui elle-même avait déjà vu une augmentation de 329 %. Le pic des prix spot a été atteint le 30 août 2022, atteignant 743,84 €/MWh.

Plusieurs facteurs ont contribué à cette situation :

  1. L’invasion de l’Ukraine par la Russie, entraînant la suspension de l’inauguration de Nord Stream 2.
  2. Une perturbation directe sur le marché électrique français : les prix ont atteint un sommet de 540,7 €/MWh le 8 mars, avec une augmentation de près de 190 % en moins de deux semaines.
  3. L’interruption des livraisons de gaz via Nord Stream 1.
  4. EDF a dû suspendre la moitié de son parc nucléaire.
  5. Une dépendance accrue aux importations.
  6. La sécheresse qui a affecté le réseau hydroélectrique français, entraînant une baisse de 23,1 % par rapport à 2021.
  7. Le marché français a été gravement fragilisé : le 4 avril 2022, les prix spot ont même atteint 2990 €/MWh à certaines heures.

Ces événements ont souligné la nécessité de réformer la régulation énergétique. La Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) a examiné ces incidents et a recommandé une révision de la stratégie de plafonnement des prix.

La suspension de l’augmentation automatique des tarifs spot a été mise en place le 13 septembre 2022. À l’automne 2022, le marché électrique français a été temporairement soulagé par des températures clémentes et des approvisionnements en gaz naturel liquéfié. EDF a communiqué à ce moment-là un calendrier de réouverture des centrales, laissant entrevoir une meilleure gestion de l’énergie pour 2023.

Cependant, la situation s’est à nouveau dégradée en décembre en raison de la forte demande de chauffage. Malgré cela, la volatilité des prix spot n’a pas atteint les niveaux critiques observés en début d’année. Les prix se sont néanmoins répercutés sur les consommateurs.

L’énergie en 2023-2024

Si les années 2023 et 2024 semblent marquer un temps d’accalmie dans la crise de l’énergie, les prix continuent d’être instables, notamment pour le gaz.

Le gaz en 2023)2024

En 2023, les prix du gaz en France ont continué leur tendance à la hausse, avec une augmentation moyenne de 35 %. Cette augmentation a été principalement influencée par la levée du bouclier tarifaire, qui a ouvert la voie à une augmentation des prix.

Les tensions géopolitiques persistantes liées à la guerre en Ukraine ont maintenu une pression élevée sur les approvisionnements en gaz, contribuant à une hausse de 20 %.

Les sanctions contre la Russie ont également perturbé l’approvisionnement en gaz, exacerbant les difficultés. Parallèlement, la reprise économique post-pandémie a entraîné une augmentation de la demande en énergie de 15 %.
En juillet 2024, les prix du gaz ont de nouveau connu une flambée significative, avec une hausse moyenne de 11,7 %. Cette augmentation se traduit par une hausse de 124 € sur la facture annuelle d’un ménage. Les raisons principales de cette augmentation incluent :

  1. L’augmentation des prix sur les marchés de gros
  2. La hausse des tarifs pour l’entretien du réseau
  3. L’augmentation de la composante CEE payée par les fournisseurs.

L’électricité en 2023-2024

En 2023, après deux années de crise de l’énergie, le marché électrique français s’est stabilisé avec une baisse significative des prix spot de l’électricité, enregistrant une diminution de -65% par rapport à 2022, avec un prix moyen de 97€/MWh.

Le prix spot le plus élevé de l’année a atteint 204,9€ le 23 janvier 2023. Un prix nettement inférieur aux tarifs records de 2022.

La faible production nucléaire d’EDF en début d’année a néanmoins contribué à maintenir des prix élevés, ainsi qu’une volatilité persistante.

Cette stabilisation du marché électrique s’explique par plusieurs facteurs, notamment les mesures renforcées pour assurer la sécurité d’approvisionnement. Le marché a retrouvé un schéma pré-crise, avec des pics de prix lors des périodes les plus froides, influencés par :

  1. La baisse de l’approvisionnement en gaz russe
  2. L’augmentation de la production d’énergies renouvelables
  3. La baisse de la consommation
  4. Un meilleur équilibre entre l’offre et la demande.

La détente observée sur le marché de gros de l’électricité en France s’inscrit dans un contexte européen plus large de rééquilibrage des prix post crise de l’énergie. La France, après avoir été nettement importatrice en 2022 en raison de la réduction de la production nucléaire, a regagné son statut d’exportatrice grâce à une augmentation de la production d’énergie décarbonée en 2023.

Malgré cette stabilisation, les factures d’électricité restent élevées pour les consommateurs en ce début de 2024, signalant que des efforts supplémentaires sont nécessaires dans la transition énergétique en France.

L’État et la crise

La crise de l’énergie de 2022 a eu un impact profond sur les fournisseurs, avec des augmentations de tarifs allant jusqu’à 300 %.

Pour contrer cette hausse et préserver le pouvoir d’achat des ménages, le gouvernement dirigé par Jean Castex a introduit un amendement au projet de loi de finances (PLF) 2022, limitant à 4 % l’augmentation des tarifs réglementés de l’électricité en février 2022. Sans cette mesure, ces tarifs auraient probablement augmenté de 10 à 15 %.

Les autres mesures prises par le gouvernement pour éviter une répercussion des fortes hausses des tarifs de l’énergie sur les marchés ont été :

  • La mise en place d’un “bouclier tarifaire“, gelant les tarifs réglementés du gaz dès le 1ᵉʳ novembre 2021 à leur niveau d’octobre.
  • Un chèque énergie exceptionnel de 100 euros en décembre 2021 (pour 5,8 millions de ménages).
  • La limitation de la hausse des tarifs réglementés de l’électricité prévue pour le 1ᵉʳ février 2022 à 4 % TTC grâce à des baisses de taxes.
  • Une indemnité inflation de 100 € aux Français qui touchaient moins de 2 000 euros net par mois (pour 38 millions de personnes) visant à compenser la hausse des tarifs de l’énergie dans son ensemble (électricité, gaz, fioul et carburant).
Entre 2021 et 2023, une augmentation significative des capacités de production d’énergie solaire, éolienne et hydroélectrique a été enregistrée, visant à réduire la dépendance aux combustibles fossiles.

Quel est l’état du marché ?

Entre décembre 2022 et mars 2023, le secteur de l’électricité a enregistré 177 000 nouvelles souscriptions à des offres de marché, une nette augmentation par rapport aux 18 000 nouvelles souscriptions observées au quatrième trimestre de 2022. Cette croissance s’explique par l’expansion des offres de marché par les fournisseurs historiques, qui ont attiré 275 000 nouveaux clients au premier trimestre de 2023.

En conséquence, au 31 mars 2023, 12,8 millions de sites résidentiels, soit 37 % du total de 34,2 millions, étaient abonnés à une offre de marché, tandis que 21,4 millions restaient sous le Tarif Réglementé de Vente (TRVE), marquant une diminution de 175 000 par rapport au quatrième trimestre de 2022. Parmi ces 12,8 millions de sites résidentiels bénéficiant d’une offre de marché, 75,9 % étaient clients chez EDF, le fournisseur historique, et 24,1% chez un fournisseur alternatif.

Depuis octobre 2023, une véritable guerre des prix a été lancée, plusieurs fournisseurs proposant des réductions de 14 à 17 % par rapport au Tarif Bleu d’EDF. Des acteurs comme Ekwateur, Mint Énergie, Ohm Énergie, TotalEnergies et La Bellenergie tentent de distinguer avec des tarifs avantageux. La fin progressive du bouclier tarifaire

La fin progressive du bouclier tarifaire a été essentielle pour préserver les consommateurs français des hausses rapides des prix de l’électricité.

Instauré en 2021 par le gouvernement afin d’atténuer l’impact des augmentations tarifaires, ce mécanisme a initialement limité l’augmentation du prix du kWh à +4 %, puis à +15 %. Toutefois, cette assistance représente un fardeau financier important pour l’État, qui envisage donc de l’éliminer progressivement d’ici à 2025.

Concernant la prochaine augmentation des tarifs de l’électricité, elle est déjà prévue pour février 2025. À cette échéance, la taxe retrouvera son taux normal, fixé à 32,44 €/MWh, après avoir été relevée une première fois en février 2024, atteignant actuellement 21 €/MWh.

FAQ

À quoi est due la crise de l'énergie ?

La crise de l'énergie mondiale survenue entre 2021 et 2023 a été déclenchée par une demande énergétique croissante résultant de la reprise économique mondiale post-pandémie de Covid-19 à partir de 2020. Cette situation a été exacerbée à partir de mars 2022 par l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Quelles sont les raisons de cette crise énergétique ?

Le panorama énergétique mondial révèle une prédominance marquée des énergies fossiles telles que le pétrole, le gaz et le charbon. Ce déséquilibre constitue la source de la crise énergétique actuelle et nécessite d'être résolu.

Quelles sont les conséquences de la crise énergétique ?

La crise énergétique risque d'engendrer des récessions légères aux États-Unis et en Europe, ce qui pourrait réduire la demande pour les produits d'exportation. Par ailleurs, la hausse des prix des dérivés du pétrole entraînera une augmentation des coûts des plastiques et de la fibre synthétique.

Mis à jour le 1 Oct, 2024

Michel Babany

Responsable Data

Michel Babany est le Responsable Data chez Papernest depuis 2021. Expert en énergie, il est chargé de l'analyse des données pour toutes les équipes commerciales. En parallèle, Michel écrit des articles sur le secteur de l'énergie en partageant son expertise et ses analyses sur les tendances et les enjeux du marché.

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